Résilience et performance : enjeux de la reprise de PME en temps de crise
Dans cet article Julien De Freyman, Sonia Boussaguet et Olivier Giacomin analysent la résilience des PME confrontées à la crise du Covid-19. Alors que la résilience est souvent étudiée sous l’angle individuel ou organisationnel, son impact combiné sur les PME en contexte repreneurial reste méconnu. Cette étude explore comment ces deux formes de résilience influencent la performance post-reprise (PPR) en contexte de crise majeure. Des résultats contre-intuitifs ont pu être mis en évidence.
Quelle était votre problématique de recherche ?
Nous avons cherché à répondre à une question centrale : la résilience individuelle (RI) des repreneurs et la résilience organisationnelle (RO) des PME acquises améliorent-elles la performance post-reprise en temps de crise ?
Deux perspectives théoriques guident cette réflexion :
- La résilience individuelle (RI) c’est-à-dire la capacité des repreneurs à maintenir une attitude positive face à l’adversité, souvent associée à la réussite entrepreneuriale.
- La résilience organisationnelle (RO), qui correspond à la capacité des PME à s’adapter aux chocs externes grâce à leurs routines, ressources et culture d’entreprise.
Notre objectif était de déterminer si ces deux résiliences jouent un rôle clé dans la préservation de la performance des PME reprises durant la pandémie.
Quelle démarche avez-vous mise en place ?
Nous avons mené une étude basée sur un échantillon de 157 repreneurs, adhérents à l’association C.R.A. (Cédants et Repreneurs d’Affaires).
Notre méthodologie repose sur :
- Une enquête nationale (2021) mesurant la RI des repreneurs, la RO des PME et la performance post-reprise (chiffre d’affaires et atteinte des objectifs).
- Un traitement statistique (PLS-SEM) pour évaluer l’impact des résiliences sur la performance, en contrôlant des variables comme l’âge du repreneur, la taille de l’entreprise ou son secteur d’activité.
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Nos analyses révèlent principalement deux points, le premier contre intuitif et le second en cohérence avec ce qu’on pouvait attendre :
- La résilience individuelle (RI) des repreneurs n’a pas d’effet direct sur la performance post-reprise. Contrairement aux attentes, les traits de personnalité des repreneurs (persévérance, flexibilité) ne suffisent pas à compenser les défis organisationnels en contexte de crise.
- La résilience organisationnelle (RO) a un impact positif et significatif sur la performance post-reprise. Les PME dotées de routines adaptatives et d’une culture résiliente ont mieux résisté aux chocs de la crise.
Nous avons obtenu d’autres enseignements clés complémentaires :
- Les PME opérant sur des marchés nationaux / internationaux ou issues du secteur secondaire ont mieux performé.
- L’expérience préalable des repreneurs (poste de direction, proximité avec le métier) influence positivement la performance post-reprise.
Ces résultats soulignent l’importance de l’héritage organisationnel : une PME déjà résiliente avant sa reprise offre un atout protecteur contre les crises, indépendamment des qualités individuelles de son nouveau dirigeant.
Cette étude montre qu’en période de crise, l’impact de la résilience organisationnelle sur la performance des PME reprises est prédominant par rapport à celui de la résilience individuelle, bien que cette dernière puisse jouer un rôle important pour la santé mentale du dirigeant et la continuité de l’activité. Elle invite les repreneurs à évaluer la RO des cibles avant acquisition (pratiques adaptatives, culture d’entreprise), à privilégier la continuité lors de la prise de fonction pour préserver les capacités existantes et à bénéficier de l’accompagnement des réseaux comme le C.R.A. pour identifier des PME robustes. Dans un monde où les crises se multiplient, intégrer la RO comme critère de sélection des reprises pourrait devenir une norme pour pérenniser le tissu économique de nos territoires.
Julien De Freyman est professeur associé en entrepreneuriat et en stratégie à South Champagne Business School. Ses recherches portent sur les problématiques psychologiques, humaines et managériales lors des transmissions d'entreprises.
Sonia Boussaguet est professeure associée au sein du département Stratégie & Entrepreneuriat à NEOMA Business School et mène des recherches sur la socialisation des repreneurs de PME (échec repreneurial, santé patronale etc.).
Olivier Giacomin est professeur associé en entrepreneuriat à NEOMA Business School. Ses principaux intérêts de recherche portent entres autres sur l’intention entrepreneuriale, l’entrepreneuriat de rebond ou encore l’influence du genre en entrepreneuriat.